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Selon Xavier Jaravel, professeur à la London School of Economics (LSE) dont les recherches portent sur l’innovation et ses impacts en économie, il est essentiel de considérer le lien entre innovation et inégalité. L’innovation est un sujet clé en économie, car elle a un impact sur la création de richesses et sur la manière dont elles sont réparties.
L’une des questions importantes qu’explore l’économiste est le lien empirique entre l’innovation et l’inégalité. Les recherches suggèrent qu’il existe généralement davantage d’inégalités là où il y a davantage d’innovation. Cela soulève la question de savoir s’il faut accepter ces inégalités en échange d’une plus grande innovation. Pour répondre à cette question, il est nécessaire de comprendre les mécanismes économiques en jeu. En économie on parle parfois du concept de “ruissellement” ou des “premiers de cordée”, qui suppose que l’innovateur initie la valeur économique et qu’un processus de diffusion naturelle se met en place. Cependant, cette idée ne correspond pas toujours à la réalité économique. L’innovation suit souvent un modèle plus “rhizomique”, centré sur le réseau et la diffusion non hiérarchique des connaissances.
La méthode : Pour concevoir des politiques d’innovation qui favorisent à la fois la croissance économique et la réduction des inégalités, il est essentiel de prendre en compte ces réalités économiques. Les chercheurs en économie de l’innovation utilisent des méthodes descriptives pour identifier les innovateurs et les types d’innovations produites. Ils combinent également ces données avec des modèles macroéconomiques pour quantifier l’impact des politiques publiques. De plus, des approches microéconomiques sont utilisées pour analyser les effets causaux de décisions spécifiques en matière d’innovation.
Constat : Il est important de reconnaître que l’innovation est souvent associée à une augmentation des inégalités, mais cela dépend en grande partie de nos choix institutionnels et de l’organisation de l’écosystème d’innovation. Les réponses habituelles en matière de politique économique semblent parfois insuffisantes pour résoudre ce dilemme, et il est nécessaire de repenser nos priorités en matière d’innovation afin de démocratiser ce processus tout en favorisant à la fois l’innovation et la réduction des inégalités. La principale question à considérer est celle de la diffusion de l’innovation, qui commence lentement au début, puis s’accélère, atteignant finalement presque tout le monde. Il ne s’agit pas uniquement d’avoir des génies innovateurs, mais plutôt d’un processus de diffusion collectif et itératif, impliquant également une interaction avec les consommateurs. Les besoins des consommateurs deviennent plus clairs une fois que les innovations sont lancées sur le marché, ce qui rend ce processus non linéaire.
Lien entre innovation et inégalités : Si l’on accepte que l’innovation est le moteur de la croissance économique, à très long terme, cette croissance économique est généralement partagée, ce qui réduit au moins dans une certaine mesure la grande pauvreté. Cependant, sur des périodes plus courtes de quelques décennies, on observe une augmentation des inégalités dans de nombreux domaines. Est-il possible de réduire ces inégalités tout en maintenant le même niveau d’innovation et d’impact technologique ?
On remarque quatre aspects des inégalités qui méritent d’être soulignés. Tout d’abord, il y a l’inégalité du patrimoine, notamment lorsque l’on examine les plus grandes fortunes mondiales. Des dizaines de personnes possèdent plus de 100 milliards d’euros de fortune personnelle, dont 6 sur 10 sont des innovateurs tels que Elon Musk, Jeff Bezos, Bill Gates, Larry Page et Sergey Brin, Mark Zuckerberg, etc. On observe là une augmentation des inégalités de patrimoine. Des données statistiques ont montré que les entrepreneurs jouent un rôle clé dans cette hausse des inégalités de patrimoine, car le succès d’une innovation peut concentrer les ressources économiques sur un petit nombre d’individus.
En ce qui concerne le deuxième point, du point de vue des entreprises, la concurrence et les positions dominantes sont en jeu. Étant donné que de nombreuses innovations profitent des économies d’échelle, une innovation réussie peut permettre à une entreprise de dominer tout un marché et peut parfois réduire les incitations à innover une fois qu’une position dominante est atteinte. Des travaux statistiques montrent une concentration croissante du marché des entreprises, principalement due à l’innovation.
Le troisième point concerne le marché du travail, où l’automatisation de certains processus est souvent associée à l’innovation. Bien que l’on craigne que cela entraîne la disparition d’emplois, cela ne s’est pas souvent vérifié dans la réalité. Les économistes sont prudents quant à l’impact de l’innovation sur le marché du travail, en particulier en ce qui concerne les innovations liées à l’intelligence artificielle, qui tendent à automatiser des tâches analytiques plutôt que des tâches routinières. La manière dont la distribution des revenus évoluera en raison de ces innovations n’est pas encore claire, car elles toucheront également les classes moyennes supérieures, créant à la fois des gagnants et des perdants.
Enfin, le quatrième aspect, moins discuté dans le débat public mais peut-être le plus crucial, concerne les inégalités du point de vue des consommateurs. Les innovateurs ont tendance à cibler des marchés en croissance pour réaliser des profits, et cela peut se traduire par des produits adaptés aux classes aisées ou aux riches, surtout dans des pays où les inégalités de revenus sont déjà en croissance rapide. Dans de tels cas, la diffusion des innovations vers les autres segments de la société peut être relativement lente, ce qui remet en question l’idée de “ruissellement”.
En résumé, ces quatre aspects des inégalités sont significatifs : le patrimoine, la position dominante des entreprises, le marché du travail et les inégalités du point de vue des consommateurs. La question de savoir si cela constitue une fatalité est complexe, car obtenir davantage d’innovations peut parfois nécessiter de tolérer plus d’inégalités.
Est-ce que tout ceci est une fatalité ? Une approche pour aborder cette question consiste à se demander quels sont les facteurs qui déterminent la direction de l’innovation et dans quelle mesure cela peut être modifié. L’argument avancé ici suggère que ces innovations génératrices d’inégalités ne sont pas inévitables, mais plutôt le résultat de choix en matière de régulation de l’innovation et d’incitations financières, guidées par la perspective de profit et la taille du marché adressé qui influencent la mise en œuvre de certaines innovations bénéfiques au plus grand nombre.
Conclusion : L’innovation, sources d’inégalités, n’est pas une fatalité mais un autre aspect doit être considérer, c’est le rôle de l’État dans l’innovation et la manière dont il peut orienter ce processus. Quelques scénarii possibles sont développés par Xavier Jaravel sur son blog : https://www.cae-eco.fr/a=xavier-jaravel
Auteur : Jean-Luc Cervera